RE2020, impact carbone et gaz à effet de serre

Dans le contexte de mise en œuvre de la Réglementation Energétique 2020 – RE2020 – qui viendra remplacer la RT2012, il nous a paru judicieux de solliciter Guillaume Desrocques pour répondre à la question : « Est-ce si important de mesurer le carbone ? ».

Rappelons que la RE2020 participe activement à l’objectif de neutralité carbone pour 2050 que s’est fixée la France (Stratégie Nationale Bas-Carbone*). Ainsi, chaque bâtiment neuf (maison ou immeuble) dont le permis de construire sera déposé à partir de juillet 2022, devra répondre à une double exigence : l’amélioration de sa performance énergétique et la diminution de son impact carbone. Concrètement, avec la RE2020 les professionnels de l’immobilier devront prendre en compte les émissions carbone réalisées sur tout son cycle de vie du bâtiment : de la phase de construction à sa fin de vie.

Guillaume Desrocques

Fondateur de Tickaborne et bénévole à The Shift Project, Guillaume Desrocques est un ingénieur passionné par la thématique carbone.

Spécialisé dans la mesure carbone sur les produits de consommation, son œil affuté sur les enjeux liés au réchauffement climatique permet de poser un regard concret sur les défis à venir.

Une interview réalisée avec un objectif : nous donner les clés pour comprendre les enjeux qui touchent le secteur de l’immobilier résidentiel.

En quoi l’étude du carbone est-elle un sujet important à tes yeux ?

Le problème que soulève l’étude du carbone est l’injustice en cascade qui déferlera dans un avenir proche – avec un effet irréversible.

Parmi les conséquences – notamment identifiées par les travaux du GIEC – nous pourrions citer l’augmentation des catastrophes naturelles, le déplacement forcé des populations, le développement de zones non habitables y compris dans l’hexagone. Dans les faits, l’être humain peut difficilement vivre 24h00 à 55°C. Si rien n’est fait, d’ici 20 à 30 ans les Bordelais pourraient vivre avec le climat de Malaga ou de Gibraltar.

Nous pourrions prendre d’autres exemples à l’échelle hexagonale. Les stations de ski sont peu émettrices de carbone. La quasi seule source d’émission serait le déplacement des skieurs/vacanciers lorsqu’ils utilisent leurs propres véhicules. Pourtant, les stations sont en première ligne en termes de conséquence et le réchauffement climatique qui impacte directement son industrie. Aujourd’hui, elles utilisent les canons à neige, ou pire, elles déplacent par avion l’or blanc. Mais il ne s’agit là que d’un palliatif.

La viticulture est un autre exemple. Les vignerons doivent adapter leurs cépages aux évolutions de températures dans leurs régions.

En ne maitrisant pas la consommation de nos énergies, on augmente les effets des catastrophes naturelles. Pourtant, c’est une problématique que nous pourrions et que nous saurions résoudre.

Pourquoi parle-t-on d’impact carbone et d’émissions de gaz à effet de serre – GES ? S’agit-il de la même chose ?

Tout d’abord, parlons carbone. Le CO2 est un gaz chimiquement neutre. Néanmoins, lorsqu’il se trouve dans l’atmosphère de manière un peu plus concentrée, il favorise l’échauffement de la planète par le soleil. Ce réchauffement est faible. Nous pourrions le comparer à 2 fenêtres de propretés distinctes. L’une laisserait plus facilement passer le soleil et réchaufferait légèrement plus la pièce en comparaison à une fenêtre moins propre.

L’équilibre terrestre est tellement sensible, fin et délicat, que ces quelques degrés peuvent avoir un effet impactant à l’échelle de la planète.

L’atmosphère renferme d’autres gaz que le CO2 : le méthane, l’azote, l’argon, etc. Tous ces gaz ont un pouvoir réchauffant plus ou moins fort, allant de quelques centaines à quelques milliers de fois plus importants que le CO2. Prenons l’exemple du gaz CFC issu des frigos: le pouvoir réchauffant est plusieurs centaines de fois supérieures au CO2.

Afin de pouvoir expliquer et comparer simplement ces éléments, une mesure commune a été adoptée. Ainsi chaque gaz est étalonné par rapport CO2. Nous retrouvons donc la mention CO2 eq pour « équivalent CO2 ». Le pouvoir réchauffant du CO2 devient la norme pour parler des autres gaz.

Exemple : l’émission 1 kg de méthane correspond à 28 kg CO2 eq. Le CO2 eq permet de tout comparer tel que le pouvoir réchauffant l’issu d’une vache à celle d’une voiture.

Les GES représentent l’ensemble des gaz qui favorisent le réchauffement de la planète. Parler de GES invite à différencier les gaz entre eux. Il est donc plus aisé de parler d’impact carbone que de GES.

Cependant, cette question invite à une 2ème réflexion liée à ce qu’englobe la mesure du carbone. Prenons un exemple simple dans le secteur immobilier. Celui-ci représente-t-il 10% ou 25% des GES de la France ?

Les travaux menés par The Shift Project* indiquent que les émissions carbone du logement représentent 10 % des émissions françaises, alors que le site du Ministère de la Transition Écologique indique 25 %. Quel est le bon chiffre ? Dans les faits, les 2 indications sont justes, mais la vision est différente. Le Shift Project prend en compte les émissions de GES liées à l’usage du logement par son habitant, alors que le Ministère va intégrer – en plus – le secteur tertiaire ainsi que le secteur industriel du bâtiment (fabrication, transport, construction …). Le scope est donc plus large.

Comment se mesure le carbone ?

L’origine de la mesure du carbone revient à Claude Lorius*, universitaire français de glaciologie. Dans les années 50, le glaciologue a été le premier à émettre une hypothèse quant à l’existence d’un lien entre la concentration de CO² dans l’atmosphère et le réchauffement climatique.

L’hypothèse s’est révélée véridique.

De ce constat, l’enjeu a été de calculer le carbone afin de différencier – notamment – les émissions issues de la nature (volcan, feux de forêt, les plantes, les animaux sauvages…) et celles issues de nos industries (usines, transports…).

En France, l’organisme dévolu à la comptabilisation des gaz – dont le CO2 – dans l’atmosphère est le CITEPA* créé en 1961 – Centre Interprofessionnel Technique d’Études de la Pollution Atmosphérique. À l’échelle mondiale, l’ONU a créé une section dédiée au réchauffement climatique. Elle est issue d’échanges d’experts scientifiques qui ont notamment défini les éléments à mesurer et dans quelles conditions. Ces travaux ont abouti à l’une des disciplines scientifiques les plus riches en échange : la climatologie à l’échelle internationale. Les moyens mis en œuvre pour évaluer les gaz sont considérables : stations de mesure sur terre, en mer, dans les fonds marins, dans les airs par des avions et des satellites.

Toutefois, la mesure du carbone rencontre une complexité lorsqu’il faut identifier l’élément qui émet le CO2.
Alors que le gaz naturel, le pétrole et le charbon s’évaluent facilement, il est plus difficile de mesurer le CO2 émis par un champ, une forêt, etc. Des études sont en cours pour définir l’origine des émissions naturelles. Par exemple, par le calcule de CO2 provenant des racines d’une plante ou d’un arbre. En parallèle, la technologie permet de réaliser des mesures à taille intermédiaire : ainsi des satellites sont capables de repérer les émissions et les captations de CO² à des échelles de l’ordre de 30 mètres. Le degré d’exactitude est assez fin allant 5% à 10%. Soit quasi aussi précis qu’un pèse-personne.

Aujourd’hui, mesure-t-on uniquement le carbone pour son incidence sur le réchauffement climatique ?

Le problème de l’émission de carbone est bien le réchauffement de la planète. Très concrètement, la terre « sera cuite » avant que nous arrivions à des concentrations de CO2 qui nous empêcheraient de respirer. Il s’agit ici d’un phénomène que l’on retrouve dans des lieux clos – tels que les grottes – ou lors d’incendie, mais ici on parle de 3 à 4 % de CO2 dans l’air. Dans l’absolu, le CO² n’est pas nocif, mais il nous « cuit à petit feu ».

Aujourd’hui le taux de CO2 dans l’air représente 400 ppm (soit 0,04%). Ce chiffre est colossal dans le cadre du réchauffement climatique.

La mesure du carbone devient un véritable enjeu, notamment dans l’immobilier avec la RE2020

Peux-tu nous expliquer de quelle manière elle est comptabilisée dans le secteur du bâtiment ?

La comptabilité du carbone a amené chaque entreprise à se questionner sur sa responsabilité en tant qu’émetteur de ce gaz qui contribue à réchauffer la planète. Qui est responsable du carbone émis ? Quelle est la part revenant au processus de fabrication, celle des fournisseurs ou encore celle qui s’imputera sur les clients qui utiliseront le produit final ?

Ainsi, les émissions ont été classifiées par rapport aux différentes responsabilités. Il ne s’agit pas de classification physique – car le CO2 est identique.

En immobilier on pourrait s’interroger sur l’émission de CO2 provenant du propriétaire d’un appartement quant à l’élaboration du béton nécessaire à la construction de son immeuble ? Ou du gaz provenant d’une chaudière collective utilisé pour chauffer son appartement ? Ainsi une comptabilité en 3 scopes a été créée. Rappelons qu’initialement pour la mesure carbone étaient dédiée aux entreprises, car elles étaient les premières sujettes à cette étude.

  • Le Scope 1 prend en compte les éléments qui appartiennent à l’entreprise et qui sont source d’émission carbone : le chauffage de ses locaux et le transport.
  • Le Scope 2 questionne l’entreprise sur ses achats énergétiques : électricité et vapeur – dans le cas de processus industriel lourd.
  • Le Scope 3 relève des achats l’entreprise et intègre les relations commerciales avec les prestataires et les fournisseurs. Par exemple, un promoteur doit prendre en compte le CO² émis dans la fabrication du ciment qu’il acquière. Le scope 3 soulève la question de la répartition du carbone : quelle proportion relève du fournisseur, du promoteur, du propriétaire, du locataire ? On résonne ici en chaine de valeur (ie chaine de carbone).

Aujourd’hui les grandes entreprises françaises communiquent via l’ADEME sur leur bilan carbone. Il n’est pas rare de voir le scope 3 vierge car la question de la responsabilité carbone sur la chaîne de valeur se pose. Prenons l’exemple d’une grande surface commerciale qui ne souhaite pas intégrer en scope 3 le bilan carbone des produits qu’elle met en rayon. En effet, elle se considère comme intermédiaire entre un producteur et un consommateur.

Quel parallèle ferais-tu entre les Scopes et la RE 2020 qui s’applique en immobilier ?

La RE2020 est justement la traduction de la prise en compte du bilan carbone pour la construction du bâtiment. C’est ce qui en fait l’évolution majeure par rapport à la RT2012.
Et ça change tout.

Dans le cas où j’achèterais un appartement, dans quelle mesure suis-je responsable de l’impact carbone issu de la construction du bâtiment ? Quelle est la part qui incombe au promoteur ? Si l’immeuble que j’achète est peu ou mal isolé, cela induit un bilan carbone plus allégé. En effet, moins de matériaux auront été utilisés dans la construction du bâtiment. En revanche, le manque d’isolation impliquera une facture énergétique plus important pour chauffer le logement.

On parle ici d’énergie grise c’est-à-dire la facture énergétique – donc carbonée – des moyens d’isolation.

Au final, il vaut mieux avoir un immeuble mieux isolé sur la durée de vie globale du bâtiment, plutôt qu’un bâtiment construit avec un faible bilan carbone et mal isolé.

Dans les faits, l’habitant s’intéressera en premier lieu au scope 1, c’est-à-dire à l’énergie qu’il va dépenser pour se chauffer ou climatiser son logement, alors que le promoteur se concentrera plutôt sur les scopes 2 et 3. L’enjeu est donc de faire converger ces intérêts.

Nous sommes face à un défi de taille. Si le logement représente 10% (Shift Project) des GES, il faut agir pour le réduire par 10. Cela peut représenter peu de chose, mais en mettant bout à bout tous les secteurs qui représentent 10 % des GES alors l’objectif sera atteint. Nous avons peu de temps pour le faire. On parle de 2°C de réchauffement max avant 2100. Mais en réalité les actions à réaliser pour être en dessous des 2°C doivent être réalisées avant 2030. Idéalement, il aurait fallu démarrer ces actions il y a 3 décennies. La pente sera donc très raide. Il est indispensable de s’y mettre tout de suite. Ce qui est le cas de la RE2020 : elle est ambitieuse et heureusement.

Les questions sous-jacentes qui émergent sont celles de l’accès aux logements ? Qui aura les moyens de payer le coût d’une diminution drastique du carbone ? Comment la financer ?

Il s’agit là d’un paramètre bancaire, dont l’être humain a finalement la maitrise. Alors que le climat relève de paramètres physiques qui sont dictés par les lois de la nature.

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