L’immobilier français connaît une mutation silencieuse mais profonde. Pendant que les modèles traditionnels montrent leurs limites face aux nouvelles attentes sociétales, un nouveau modèle fait parler de lui : l’immobilier opéré. Cette évolution économique transforme la manière d’envisager l’investissement dans le résidentiel.
De la pierre dormante à l’immobilier vivant
L’immobilier opéré rompt avec le modèle de la location classique. Fini le temps où investir signifiait simplement louer des mètres carrés vides. Désormais, le propriétaire devient opérateur de services résidentiels, créant de la valeur par l’expérience et l’usage plutôt que par la seule rente foncière.
Concrètement ? Imaginez un immeuble où chaque résident accède simultanément à son logement, à une salle de sport, un espace de coworking, une conciergerie digitale et des services de ménage. L’occupant paie pour une expérience globale, pas seulement un toit. Cette approche répond aux attentes d’une société en mutation : mobilité professionnelle accrue, recherche de flexibilité et besoin de services intégrés.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors que les rendements locatifs classiques stagnent entre 2 et 3%, l’immobilier opéré affiche des performances de 4 à 7% selon les segments, avec une sécurisation accrue des revenus grâce aux baux professionnels.
Trois segments à suivre de près
1- Le coliving : quand vivre ensemble redevient désirable
Le coliving fait évoluer la colocation pour la génération des jeunes actifs mobiles. Colonies illustre ce modèle avec ses « houses » de 6 à 10 personnes combinant chambres privées équipées et espaces communs XXL : salles de cinéma, toits-terrasses, salles de sport.
La force du modèle ? Une occupation garantie à 100% grâce à une gestion professionnelle et une demande soutenue. Les projections sectorielles anticipent un triplement de l’offre dans les prochaines années, attirant désormais les géants de l’immobilier comme Bouygues, Vinci et Nexity. Urban Campus pousse l’approche encore plus loin avec son modèle Build-to-Rent intégré : l’opérateur maîtrise toute la chaîne, du développement à l’exploitation. Résultat : des résidences pensées dès la conception pour l’usage collectif, avec 7 à 10% de surfaces dédiées aux espaces partagés.
2- Les résidences seniors : le segment mature à fort potentiel
Avec plus de 1 000 établissements en 2022 et des projections à 1 550 en 2026, les Résidences Services Seniors (RSS) représentent le secteur le plus structuré de l’immobilier opéré. Domitys, leader du marché, propose une offre servicielle complète : restauration, animations, espaces bien-être, conciergerie. La formule séduit les investisseurs grâce à des rendements de 4,5% à 5,5% sécurisés par des baux commerciaux fermes de 12 ans.
L’enjeu démographique est considérable : 6,5 millions de Français ont plus de 75 ans en 2022, un chiffre qui dépassera 8 millions en 2030.
L’innovation stratégique du secteur ? Le partenariat Domitys-Korian (groupe Clariane) qui crée un continuum de services entre résidences autonomes et établissements médicalisés, anticipant l’évolution des besoins.
3- Le Build-to-Rent : l’institutionnalisation du résidentiel
Le BTR marque l’entrée massive des investisseurs institutionnels dans le résidentiel opéré. Entre 2017 et 2022, 7,5 milliards d’euros ont été déployés sur ce segment, témoignant d’un changement structurel.
Le principe : développer des immeubles spécifiquement conçus pour la location professionnelle, jamais destinés à la vente en bloc. Cette approche attire les assureurs, mutuelles et caisses de retraite qui ont triplé leur patrimoine immobilier en SCPI, passant de 5 à 14,1 milliards d’euros entre 2015 et 2022.
Le partenariat Nexity-Urban Campus à Saint-Louis symbolise cette institutionnalisation : 106 appartements du T2 au T5 avec Swiss Life Asset Managers, intégrant conciergerie digitale, coworking et services premium.
Pourquoi ce modèle est-il de plus en plus présent ?
Trois facteurs expliquent l’essor de l’immobilier opéré.
1- La mutation sociétale d’abord : 67% des projets BTR ciblent les jeunes actifs mobiles, une population qui privilégie la flexibilité et les services à la propriété. Dans un contexte où 70% des étudiants déclarent avoir du mal à se loger dans les grandes villes, l’immobilier opéré propose une réponse structurelle.
2- L’optimisation financière ensuite : face à la compression des rendements locatifs traditionnels, l’immobilier opéré génère de la valeur par les services. Cette économie d’usage permet de maintenir des performances attractives tout en répondant aux attentes des occupants.
3- La professionnalisation enfin : la concentration sectorielle s’accélère. Dans les RSS, les dix premiers exploitants gèrent désormais plus de 60% du parc contre 56% en 2017. Cette consolidation sécurise les investissements et attire les capitaux institutionnels.
Perspectives : vers un nouveau standard
L’immobilier opéré ne constitue pas une niche : il redéfinit progressivement les standards du résidentiel et du tertiaire (bureaux). Les nouveaux modèles économiques transforment la création de valeur immobilière, privilégiant l’expérience sur la simple occupation.
Pour les investisseurs, cette évolution ouvre des opportunités de diversification patrimoniale. Toutefois elle exige aussi une nouvelle approche : comprendre les dynamiques opérationnelles, évaluer la solidité des exploitants et saisir les enjeux sectoriels spécifiques.
L’avenir de l’investissement résidentiel se dessine autour de cette économie de l’usage, où la réussite se mesure moins en mètres carrés possédés qu’en qualité de services rendus. Les perspectives confirment cette tendance de fond : l’immobilier opéré n’est plus une innovation, c’est le nouveau paradigme.
L’immobilier tertiaire plus que jamais concerné par cette évolution
Cette dynamique ne concerne pas que le résidentiel. Le secteur des bureaux opérés connaît une croissance parallèle avec 1,45 million de m² répartis entre 919 sites en France. L’Île-de-France capte logiquement 66% de ce marché en pleine structuration.
Ces bureaux opérés dépassent largement le simple coworking : ils proposent des solutions clés en main intégrant mobilier, services techniques, maintenance et gestion administrative complète. Pour les entreprises en croissance ou en mutation, ce modèle offre une flexibilité précieuse sans les contraintes d’un bail commercial classique.
Cette convergence résidentiel-tertiaire illustre une transformation en cours : qu’il s’agisse de vivre ou de travailler, les utilisateurs privilégient désormais l’expérience servicielle sur la possession. L’immobilier opéré devient ainsi le dénominateur commun d’une nouvelle économie de l’usage, redéfinissant durablement les codes de l’investissement immobilier.