Et si l’avenir de votre quartier se dessinait déjà dans les carnets de quelques visionnaires ? Pendant que nous vaquons à nos occupations quotidiennes, des esprits curieux scrutent l’horizon pour imaginer comment nous vivrons demain. Ces professionnels discrets – qu’on appelle futurologues – transforment notre façon d’habiter la ville sans que nous nous en rendions vraiment compte. Plongée dans un métier fascinant qui façonne votre quotidien de demain.

Des explorateurs du futur, pas des devins

Oublions tout de suite l’image d’Épinal : un futurologue ne prédit pas l’avenir avec une boule de cristal. C’est plutôt un détective du présent qui traque les indices, les petits signaux qui annoncent les grands bouleversements de demain.

Leur méthode ? Croiser intelligemment les données sociales, technologiques, économiques et environnementales pour dessiner non pas un futur certain, mais plusieurs avenirs possibles. Un peu comme un architecte qui proposerait trois plans différents pour une maison selon les priorités.

Née dans les années 1960 avec l’essor de l’informatique, cette discipline s’appuie sur des outils concrets : l’analyse de cycles historiques (ce qui s’est déjà produit peut nous éclairer), la construction de scénarios classés entre « possibles », « probables » et « préférables », et même le « design fiction » – cette capacité à matérialiser des visions par le récit ou l’image.

Le secret de leur efficacité ? L’interdisciplinarité. Les futurologues viennent d’horizons variés – sciences, économie, sociologie, ingénierie – et n’ont suivi aucune formation standardisée. Cette diversité est leur force : ils font dialoguer des mondes qui s’ignorent habituellement et repèrent des connexions invisibles aux spécialistes d’un seul secteur.

Trois visionnaires qui peuvent changer notre quotidien

Pour mieux comprendre leur influence, voici trois figures qui transforment notre rapport à la ville.

Joël de Rosnay : penser la ville comme un organisme vivant

Ancien chercheur au MIT et directeur de la prospective à la Cité des sciences de La Villette, Joël de Rosnay nous invite à voir la société comme un système interconnecté. Sa vision ? Nos villes fonctionnent comme des êtres vivants, où chaque élément interagit avec les autres. Cette approche systémique influence depuis des décennies les politiques publiques françaises et change notre façon de concevoir l’aménagement urbain.

Carlos Moreno : révolutionner la proximité

Et si tout ce dont vous avez besoin au quotidien se trouvait à 15 minutes à pied de chez soi ? C’est le pari audacieux de Carlos Moreno avec sa « ville du quart d’heure« . Travail, commerces, loisirs, santé, éducation : ce concept simple mais puissant repense entièrement notre rapport aux déplacements et au territoire.

Loin d’être une utopie, cette vision transforme déjà la planification urbaine des grandes métropoles mondiales réunies dans le réseau C40. Paris, Milan, Melbourne… Ces villes réinventent leurs quartiers autour de cette idée de proximité retrouvée.

Jeremy Rifkin : imaginer la société post-carbone

Économiste américain devenu conseiller officiel de l’Union européenne, Jeremy Rifkin théorise les grandes révolutions industrielles et énergétiques. Ses travaux sur la transition énergétique orientent les stratégies d’aménagement du territoire à l’échelle européenne. Quand il parle de « troisième révolution industrielle », ce ne sont pas que des mots : ce sont des choix technologiques et urbanistiques qui se concrétisent dans nos villes.

Ces personnalités jouissent d’une crédibilité solide, reconnue par les universités, gouvernements et organisations internationales. Leur légitimité ? Une méthode rigoureuse et des intuitions qui se sont souvent vérifiées avec le temps.

La magie des histoires du futur

Comment ces futurologues parviennent-ils à nous faire voir ce qui n’existe pas encore ? Leur arme secrète tient en un mot : le récit.

Plutôt que d’assommer leur audience avec des données brutes, ils créent des « histoires du futur » qui nous permettent de visualiser concrètement les implications des tendances actuelles. C’est ce qui rend leurs travaux aussi puissants.

Jeremy Rifkin excelle dans cet art en décrivant les révolutions industrielles comme des chapitres successifs de l’histoire humaine. Il crée une véritable dramaturgie autour de la transition énergétique, transformant des enjeux techniques en épopée collective.

Carlos Moreno, lui, a trouvé une métaphore géniale avec son « quart d’heure ». Cette unité de temps – à échelle humaine, immédiatement compréhensible – rend son concept universel.

La méthode en trois temps :

Pour élaborer leur travaux, les futurologues avancent en 3 temps :

  1. Observer finement le présent : identifier les tendances lourdes et les signaux faibles
  2. Imaginer plusieurs futurs : construire des scénarios narratifs contrastés
  3. Éclairer les choix d’aujourd’hui : utiliser ces visions pour guider les décisions actuelles

Cette approche transforme l’angoisse de l’inconnu en opportunité d’action éclairée. Plutôt que de subir le changement, on peut le préparer, voire l’orienter.

Quand la prospective redessine nos villes

Concrètement, que font ces futurologues pour transformer l’immobilier et nos façons d’habiter ?

Ils travaillent avec les collectivités, les aménageurs et les décideurs pour anticiper les mégatendances : 68% de la population mondiale vivra en ville en 2050, le changement climatique bouleverse déjà nos façons de construire, la révolution numérique réinvente nos services urbains, les mobilités se diversifient…

Les grands chantiers du futur urbain

La smart city : au-delà du « buzzword », il s’agit d’utiliser l’intelligence artificielle et les capteurs connectés pour optimiser les services urbains – de l’éclairage public à la gestion des déchets. L’objectif ? Des villes plus efficaces et moins énergivores.

La résilience climatique : comment adapter nos villes aux canicules, inondations et autres épisodes extrêmes qui se multiplient ? Les futurologues imaginent des quartiers-éponges, des îlots de fraîcheur, des bâtiments « apprenants » qui optimisent leur consommation.

La mixité sociale et fonctionnelle : pour lutter contre la ségrégation urbaine, ils préconisent des quartiers où se mêlent habitations, commerces, bureaux et espaces publics. Cette multifonctionnalité réduit les déplacements et renforce le lien social.

L’urbanisme souterrain : pour répondre à la croissance démographique sans étalement urbain, certains explorent les possibilités du sous-sol urbain. Parkings, infrastructures, espaces de stockage… et si une partie de nos villes se développait en profondeur ?

Une approche radicalement différente

Les futurologues bousculent l’urbanisme traditionnel. Ils préconisent un « urbanisme de projet » adaptable plutôt que purement réglementaire. L’idée ? Concevoir des espaces évolutifs qui pourront s’adapter aux besoins changeants plutôt que de figer les usages dans le béton.

Ils développent aussi des scénarios prospectifs sur l’évolution des zones pavillonnaires : faut-il les densifier ? Certaines sont-elles condamnées au déclin avec la hausse des coûts énergétiques ? Ces questions, encore taboues il y a dix ans, sont désormais au cœur de la planification urbaine.

Quelques pistes de réflexion

Suivre les travaux des futurologues reconnus nous permet d’anticiper les évolutions réglementaires et les attentes sociétales avant qu’elles ne deviennent « mainstream ». Les concepts émergents aujourd’hui sont les critères de valorisation de demain.

Ainsi, s’intéresser aux Plans Locaux d’Urbanisme de sa commune : intègrent-ils des principes de proximité, de résilience climatique, de mixité ? Ces orientations dessinent le visage futur de son quartier.

Adopter une logique prospective dans ses choix : plutôt que de raisonner uniquement sur le présent, projetons nous dans 10 ou 15 ans. Quels seront les besoins en matière de mobilité, de services, de confort thermique ?

L’avenir se construit dès aujourd’hui

Les futurologues ne sont pas des magiciens qui prédisent l’avenir. Ce sont des éclaireurs qui nous aident à naviguer dans l’incertitude avec lucidité et optimisme. Leur influence discrète mais profonde transforme notre rapport à l’habitat et à la ville.

Comprendre leur approche, c’est se donner les moyens de participer activement à la construction du monde de demain plutôt que de le subir. Car comme le rappellent ces visionnaires : l’avenir ne se prédit pas, il se construit – et il se construit aujourd’hui.

La bonne nouvelle ? Nous avons tous un rôle à jouer dans ce récit. En tant que citoyens, électeurs, propriétaires ou locataires, nos choix individuels et collectifs dessinent le visage des villes de demain. Et grâce au travail de ces explorateurs du futur, nous pouvons faire ces choix en pleine conscience, avec enthousiasme et espoir.

Parce qu’au fond, imaginer des futurs désirables, c’est déjà commencer à les faire advenir.

Pour aller plus loin: