Foncier occupé : un défi stratégique pour les acteurs de la rénovation urbaine
Rénover un site déjà en activité, souvent contraint par des usages existants, des infrastructures vieillissantes et des attentes sociales fortes, constitue un défi majeur pour les opérateurs urbains. Ces fonciers dits « occupés » — qu’ils soient hospitaliers, administratifs, industriels, résidentiels ou commerciaux — sont nombreux et représentent une part importante du patrimoine immobilier des territoires.
Dans un contexte de transition écologique et de raréfaction du foncier disponible, la question centrale devient : Comment rénover sans seulement compenser les impacts, mais en générant de la valeur positive, durable et mesurable ?
C’est dans cette perspective que l’approche de régénération émerge comme un cadre stratégique de plus en plus pertinent. Elle propose une refonte des projets en tenant compte à la fois des enjeux environnementaux, sociaux et économiques du site — tout en valorisant ses spécificités.
1. La régénération : dépasser la durabilité pour créer de la valeur
Contrairement à la simple réduction d’impacts négatifs (logique de durabilité), la régénération vise à restaurer et améliorer les capacités du territoire à produire des bénéfices — pour les humains comme pour les écosystèmes.
Cela implique concrètement, les mesures suivantes :
- Repenser l’aménagement du site pour améliorer les services écosystémiques (régulation thermique, gestion de l’eau, biodiversité).
- Intégrer des usages humains favorisant le bien-être, la santé et la productivité.
- Créer un modèle économique qui valorise ces apports à moyen et long terme.
Cette approche ambitieuse est applicable sur des sites complexes. L’exemple du Centre Hospitalier de Grasse illustre comment un opérateur peut s’engager dans une telle transformation.
2. Étude de cas : le projet de régénération du site hospitalier de Grasse
Le Centre Hospitalier de Grasse, construit dans les années 1980, illustre un cas typique d’urbanisme hérité peu adapté aux défis climatiques actuels.
Le site est massivement imperméabilisé, saturé de surfaces asphaltées dédiées au stationnement, et fortement exposé aux îlots de chaleur (jusqu’à 45°C dans les véhicules en été). À cela s’ajoutent des problématiques de ruissellement, de consommation énergétique élevée et de confort thermique insuffisant.
Face à ce constat, les besoins exprimés par les soignants, patients et visiteurs ont orienté la réflexion vers une approche plus globale et transformative. Le projet Régén’ère Azur, soutenu par le Club des Entrepreneurs du Pays de Grasse, le centre LUMIÅ et le cabinet Change it Use it, s’est inscrit dans une dynamique de régénération du site. Son objectif : expérimenter de nouvelles formes de coopération public-privé et développer des modèles territoriaux fondés sur la création de valeur régénérative.

Image issue du dossier du Centre Hospitalier de Grasse
3. La régénération comme réponse systémique et stratégique
La régénération s’inscrit donc dans une démarche allant au-delà de la durabilité. Elle vise non seulement à réduire les impacts négatifs, mais aussi à restaurer, enrichir et renforcer les écosystèmes naturels, humains et économiques. Sur le site hospitalier, cette approche globale a permis de structurer l’intervention autour de trois dimensions interdépendantes :
- Énergie : Comment concilier production locale et sobriété énergétique ? L’étude a comparé plusieurs scénarios de production photovoltaïque (toitures, ombrières de parking), combinés à des solutions passives telles que les façades et toitures végétalisées, pour réduire les besoins en climatisation.
- Cohabitation humains / non-humains : Les aménagements ont été conçus pour intégrer la biodiversité, en conciliant sécurité, fonctionnalité et respect du vivant. Cela a impliqué de repenser les usages du foncier au profit d’un maillage écologique.
- Vision stratégique intégrée : Le site a été analysé comme un système vivant, afin d’y projeter des usages humains compatibles avec des gains environnementaux, sociaux et économiques. Cette logique systémique est essentielle pour les promoteurs souhaitant aller au-delà du simple « verdissement » réglementaire.
4. Vers une alliance entre usages humains et écosystèmes
Le choix méthodologique adopté privilégie les solutions fondées sur la nature plutôt que les seules réponses technologiques. Par exemple, si les panneaux photovoltaïques sont envisagés, les limites liées à l’extraction de métaux rares incitent à équilibrer leur usage avec des approches basées sur la résilience des écosystèmes : désimperméabilisation, végétalisation, trames vertes et bleues intégrées.
Cette approche redonne au vivant un rôle structurant dans la programmation des espaces. Les services écosystémiques sont mobilisés comme leviers fonctionnels : régulation thermique, captation des eaux de pluie, réduction des polluants atmosphériques, amélioration du confort et de la santé psychologique des usagers.
Des bénéfices concrets sont visés : réduction des îlots de chaleur, limitation des risques d’inondation, meilleure qualité de l’air, bien-être accru du personnel hospitalier et amélioration de l’attractivité du site pour les visiteurs et partenaires.

Image issue du dossier du Centre Hospitalier de Grasse
5. Une méthodologie reproductible pour les promoteurs / opérateurs
La démarche se décline en plusieurs étapes opérationnelles, appuyées sur des cadres réglementaires européens (directive CSRD – indicateurs ESRS) et des outils de suivi.
Phase 1 – Diagnostic écologique et humain :
• Collecte et analyse de données relatives à l’environnement, l’usage du site et les services écosystémiques existants.
• Identification des usages humains prioritaires (repos, soins, circulation, pause) et des interactions souhaitables avec le vivant.
Phase 2 – Régénération sociale :
• Valorisation de la biophilie (lien avec la nature) pour améliorer les conditions de travail et de soin : dômes végétalisés pour les pauses, terrasses ombragées, corridors verts accessibles.
Phase 3 – Scénarisation prospective :
• Élaboration de 44 scénarios d’évolution du site intégrant contraintes techniques, besoins des usagers, bénéfices écologiques et économiques.
• Exemples d’interventions : ombrières biosourcées, arche végétale, cool roofing, trames arborées.
Phase 4 – Évaluation des impacts :
• Suivi à l’aide de KPI (Key Impact Indicators) mesurant les effets sociaux, environnementaux et financiers, avec projection sur les coûts évités (santé, climatisation, gestion des eaux pluviales).
ESRS | Résultats |
---|---|
ESRS E1 – Climat
Bioclimatique du bâtiment (/20) Score ICU (de 0 à 1) Stockage (t.eq.CO2) et séquestration de GES (t.eq.CO2/an) Destockage de carbone (t.eq.CO2) Emissions liées à la construction (t.eq.CO2) Dette écologique globale GES (t.eq.CO2) Emissions des consommations énergétiques (t.eq.CO2/an) |
Bioclimatique : 43.9%
Score ICU : 18.6% 36.05 %stockage 75% de séquestration Emissions construction : 0% Emissions conso énergétiques : 74% |
ESRS E2 – Pollution
Absorption de particules fines (Kg PM/an) |
65.96% |
ESRS E3 – Eau et Ressources Marines
Eau pluviales reçue (m ») Coefficient de ruissellement (de 0 à 1) Eau verte perdue (m ») Eau bleue consommée (totale/irrigation – m ») Quantité d’eau évapotranspirée (m »/an) |
Coef ruissellement : 3.23%
Eau verte perdue : 3.05% Eau bleue consommée : 0% Evapotranspiration : 57.03% |
ESRS E4 – Biodiversité et écosystème
Nature de l’occupation des sols (m » et %) Qualité des soles (m² et %) Qualification des strates (m² et %) Coefficient de biotope surfacique (0 à 1) Photosynthèse (t.eq.CO2) |
CBS : 8.33%
Photosynthèse : 38.89% |
ESRS 5 – Usage des ressources / Economie circulaire
Production de fruits et légumes (kg/an) Usage circulaire de l’eau |
Production : 4 181%
Usage circulaire : +3 275% |
ESRS S1 / S2/S3 : PP internes, externes et communautés
Production de dioxygène (kg/an) De nombreux enjeux non quantifiés (quantifiables) mais qualifiés |
Prod dioxygène : 52.26% |
Elements issus du webinaire du 29/04/2025 – Centre Hospitalier de Grasse
6. Des impacts mesurables, des bénéfices territoriaux durables
Les premiers résultats montrent un potentiel significatif d’amélioration de la qualité de vie sur le site, une réduction des charges énergétiques, et une amélioration de l’image du site à l’échelle du territoire. Ces effets créent de la valeur, non seulement pour les usagers du site, mais aussi pour les investisseurs, les collectivités et les citoyens.
La régénération devient ici un levier stratégique de requalification foncière : elle permet de concilier performance économique, résilience environnementale et acceptabilité sociale. Elle répond également aux nouvelles exigences réglementaires et aux attentes croissantes des usagers en matière d’habitabilité.

Image issue du dossier du Centre Hospitalier de Grasse
7. Pour les opérateurs : quels leviers de création de valeur ?
L’expérience du site de Grasse démontre plusieurs leviers concrets que les promoteurs peuvent mobiliser dans une logique régénérative :
- Valorisation foncière accrue grâce à l’amélioration du cadre de vie, de la biodiversité et des services écosystémiques
- Réduction des coûts d’exploitation (énergie, gestion des eaux, confort thermique)
- Conformité renforcée avec les exigences réglementaires européennes (CSRD, taxonomie verte)
- Acceptabilité sociale plus forte grâce à la co-construction avec les usagers
- Avantage compétitif sur le marché immobilier en intégrant des critères ESG différenciants
En résumé
Rénover un foncier occupé ne doit plus être perçu comme une contrainte, mais comme une opportunité stratégique. L’approche régénérative, illustrée par le projet Régén’ère Azur à Grasse, démontre que des sites déjà urbanisés peuvent devenir des démonstrateurs de transformation écologique, sociale et économique.
Pour les opérateurs, cette démarche offre un nouveau modèle d’intervention, à la fois réaliste, mesurable et créateur de valeur.
L’expérience menée à l’hôpital de Grasse dans le cadre de Régén’ère Azur démontre la faisabilité et la pertinence d’une approche régénérative, même sur des sites complexes et contraints. Pour les promoteurs, elle constitue une source d’inspiration concrète : il est désormais possible de transformer des fonciers déjà occupés en actifs à haute valeur ajoutée environnementale, sociale et économique.