L’adoption du statut et le contexte politique
Un premier vote qui change la donne
Le statut du bailleur privé, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 14 novembre 2025, pourrait bien devenir l’un des grands marqueurs de la politique immobilière des prochaines années. Pour la première fois depuis longtemps, l’État tente de proposer un nouvel outil pour encourager l’investissement locatif, dans un environnement où il devient chaque année plus difficile de produire des logements et d’y habiter.
Ce texte, porté par Charles de Courson dans le cadre du budget 2026, n’est pas encore une loi définitive : il doit encore franchir l’étape du Sénat en décembre 2025, puis être précisé par des décrets attendus au premier semestre 2026. Mais son adoption en première lecture a déjà retenu l’attention de tous les professionnels de l’immobilier. Beaucoup y voient une avancée, mais peu parlent d’enthousiasme. L’attente autour de ce statut était immense ; la prudence, elle, reste de mise.
En effet, le marché immobilier traverse une période de transformation profonde. Les crédits se font plus rares, les chantiers sortent moins vite de terre, les prix résistent mal dans certaines zones, tandis que les besoins en logements ne cessent d’augmenter. Les Français, de leur côté, revoient leurs modes de vie et leurs attentes, tandis que les investisseurs hésitent à s’engager sur des horizons longs dans un contexte économique incertain.
Dans ce climat tendu, l’apparition d’un nouveau dispositif fiscal ressemble forcément à un signal envoyé par l’État : « nous voulons relancer l’investissement ». Mais la vraie question est ailleurs : ce nouveau statut est-il suffisamment solide, suffisamment attractif et suffisamment lisible pour changer la tendance
Un fonctionnement basé sur l’amortissement : comment ça marche ?
Le premier élément majeur qui distingue le statut du bailleur privé des dispositifs antérieurs – notamment le Pinel – est son architecture fondée sur un mécanisme d’amortissement fiscal.
Concrètement, l’investisseur pourra amortir une partie de la valeur du bien, et ce, qu’il s’agisse d’un logement neuf, d’un logement ancien ayant fait l’objet de travaux lourds. Ce choix marque une bascule vers une logique comptable, plus proche de celle habituellement réservée au monde professionnel qu’à l’investisseur particulier.
Ainsi, ce mécanisme s’appliquera aux investissements réalisés entre le 1er janvier 2026 et le 31 décembre 2028, indépendamment de la date d’obtention du permis de construire ou de la déclaration préalable. C’est une manière de neutraliser toute tentation d’effets d’aubaine liés aux calendriers administratifs et de focaliser l’avantage fiscal sur la décision d’investissement elle-même.
En contrepartie, l’investisseur devra respecter un engagement de location nue d’une durée de 12 ans, destinée à une résidence principale et sous plafonds de loyers ANAH, eux-mêmes déterminés commune par commune. Les conditions de ressources des locataires, alignées sur les plafonds Pinel en zones A/B/C, renforcent la volonté de cibler le parc intermédiaire et de garantir une certaine modération des loyers .
Cette combinaison dessine un dispositif hybride, associant amortissement fiscal et éléments sociaux, montrant une volonté d’équilibrer incitation à l’investissement et régulation du marché locatif.
Le plafond d’amortissement, un point de friction majeur
Malgré l’innovation conceptuelle, le statut du bailleur privé est confronté à un frein important : le plafonnement à 8 000 € par an et par foyer du montant des amortissements déductibles .
Ce plafond correspond à un investissement maximal d’environ 285 714 € dans le neuf et 333 333 € dans l’ancien, compte tenu des taux d’amortissement de 3,5 % et 3 % fixés par le texte. Note Rivières Avocat
Pour de nombreux professionnels, ce seuil apparaît comme insuffisant pour répondre à la réalité des besoins sur les zones les plus tendues, où le prix moyen d’un appartement dépasse régulièrement les 350 000 €, voire 500 000 € dans certaines métropoles. Ce décalage structurel entre le plafond fiscal et les prix de marché risque de limiter l’attractivité du dispositif pour les investisseurs les plus actifs, ceux précisément dont la participation serait déterminante pour relancer la production de logements.
Ainsi, bien que le mécanisme d’amortissement apporte une innovation réelle, son impact budgétaire est jugée trop faible pour générer un choc d’offre, ou même pour compenser la disparition d’un Pinel dont les avantages, bien que critiqués, étaient plus lisibles et souvent plus importants pour les investisseurs.
Les trois mécanismes fiscaux qui jouent sur la rentabilité
L’évaluation du statut du bailleur privé nécessite d’examiner trois paramètres fiscaux déterminants, qui pèseront dans le calcul de rentabilité.
1. L’absence d’imputation sur le revenu global : un frein relatif
Les amortissements générés par le dispositif ne pourront neutraliser que les revenus fonciers, et non le revenu global. Cette contrainte limite l’impact fiscal pour les investisseurs qui ne disposent pas déjà d’un parc locatif générant des revenus imposables. Toutefois, pour ceux qui disposent de revenus fonciers récurrents, l’économie fiscale demeure substantielle et permet également de réduire les prélèvements sociaux, qui pourraient être rehaussés à 18,60 % dans le projet de loi de finances en débat .
Ce mécanisme, s’il s’inscrit dans une logique prudente de la part de l’État, réduit néanmoins l’intérêt du dispositif pour les primo-investisseurs ou pour les ménages souhaitant se positionner de manière ponctuelle sur l’immobilier locatif.
2. La réintégration des amortissements dans le calcul de la plus-value : un sujet souvent mal compris
La perspective de devoir réintégrer les amortissements dans la plus-value imposable effraie certains investisseurs. Pourtant, l’analyse montre que cette réintégration reste souvent favorable à long terme : l’économie fiscale générée lors de la phase de détention peut atteindre 49 % (Impôt sur le Revenu + Contribution Exceptionnelle sur les Hauts Revenus), alors que le taux d’imposition de la plus-value reste à 19 % et bénéficie désormais d’une réduction de la durée nécessaire pour atteindre l’exonération totale, ramenée à 17 ans .
Cette asymétrie constitue un avantage réel, qui encourage une détention longue et s’inscrit parfaitement dans la vision d’un marché immobilier en transition où les cycles d’investissement s’allongent.
3. Le cumul avec Loc’Avantages : un levier fiscal encore sous-exploité
Le dispositif ne peut être cumulé avec Malraux, Denormandie, mais il reste compatible avec Loc’Avantages, ce qui ouvre une piste d’optimisation intéressante. Ce double mécanisme — amortissement + réduction d’impôt — constitue un avantage spécifique du nouveau statut, mais il nécessite une ingénierie fiscale fine, qui pourrait en limiter l’adoption par le grand public.
Un dispositif révélateur, mais pas encore transformateur
Au-delà des détails fiscaux, le statut du bailleur privé est révélateur d’une orientation structurelle du marché. Il traduit une volonté claire :
- de rééquilibrer les incitations entre location nue et meublée,
- de favoriser la durée longue de détention
- et de redonner un rôle central à l’investisseur particulier dans la production de logements intermédiaires.
Cependant, à ce stade, le dispositif apparaît davantage comme une première pierre que comme un outil pleinement abouti. Son ambition conceptuelle est réelle, mais son ambition financière reste limitée. Il serait probablement plus juste de le considérer comme un jalon dans une réforme plus large de la fiscalité immobilière à venir.
Un progrès incontestable, mais un potentiel encore sous-exploité
Le statut du bailleur privé est une avancée importante, qui apporte un cadre plus cohérent, plus moderne et mieux aligné sur les logiques économiques actuelles. Mais il souffre déjà d’un manque d’ampleur, particulièrement en ce qui concerne le plafonnement de l’amortissement et la contrainte des loyers.
En l’état, il représente un signal encourageant, mais insuffisant pour bouleverser la trajectoire du marché résidentiel. Pour espérer en faire un véritable levier de relance, il faudra probablement attendre la version finale issue du Sénat, ainsi que les décrets d’application de 2026.