L’indicateur conjoncturel de fécondité français est passé de 2,03 enfants par femme en 2010 à 1,62 en 2024, son plus bas niveau depuis 1919. Derrière cette chute vertigineuse, un facteur déterminant émerge dans l’analyse de Maxime Sbaihi, économiste et contributeur d’une note pour le compte du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan : la crise du logement. Source Note HCSP
Un écart entre les souhaits et la réalité
Les enquêtes démographiques révèlent un décalage troublant. Les ménages français expriment majoritairement le souhait d’avoir deux enfants. Pourtant, la réalité s’en éloigne de plus en plus. Lorsqu’on interroge ces couples sur les freins à la concrétisation de leur projet parental, le logement arrive systématiquement en tête des obstacles mentionnés.
Ce constat dépasse le simple problème de place. Dans les grandes agglomérations, un salarié au revenu médian a perdu entre 20 et 35 mètres carrés de surface habitable depuis les années 2000. C’est l’équivalent de deux chambres. Cette perte d’espace intervient justement à l’âge où les couples pensent à fonder une famille.

Une jeunesse en déclassement
Pour Maxime Sbaihi, la crise du logement est un des symptômes visibles d’un problème plus large : le déclassement économique de la jeunesse. Les revenus n’augmentent pas au même rythme que les prix de l’immobilier. es revenus n’augmentent plus au même rythme que les prix de l’immobilier, créant un effet de ciseau particulièrement violent dans les zones urbaines denses où se concentrent emplois et opportunités. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans les années 1970, il fallait quinze ans pour doubler son niveau de vie. Aujourd’hui, il en faudrait quatre-vingts. La pauvreté touche maintenant en priorité les jeunes actifs, alors qu’elle concernait surtout les personnes âgées auparavant.
La promesse faite à chaque génération de vivre mieux que la précédente et de se loger dignement est rompue pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce constat transforme radicalement la manière dont les jeunes couples envisagent leur avenir. La question n’est plus seulement « voulons-nous un enfant ? » mais « pouvons-nous déménager ? », « où trouverons-nous les modes de garde ? », « comment organiser notre vie familiale dans un espace contraint ? ».
Une corrélation documentée à l’international
Maxime Sbaihi observe un manque de recherches françaises sur le lien entre logement et fécondité. À l’inverse, des études américaines et britanniques ont quantifié ce phénomène : une hausse de 10% des prix du logement correspond à une diminution de 4% du taux de naissance. Aux États-Unis, les chercheurs estiment à 1,3 million le nombre de naissances qui n’ont pas eu lieu en raison des prix immobiliers élevés.
L’économiste établit une distinction éclairante : le premier enfant serait davantage contraint par le logement, tandis que le second dépendrait davantage des modes de garde disponibles. Face à un marché immobilier tendu, les jeunes couples s’interrogent : peut-on déménager pour gagner de l’espace ? Comment concilier un loyer élevé et les dépenses liées à un enfant ? Ces questions orientent naturellement leurs décisions.
Sources : Insee & article BFM
Au-delà des politiques familiales classiques
La France dispose pourtant d’un des meilleurs systèmes de soutien à la parentalité. Prestations familiales généreuses, réseau de crèches développé, congés parentaux, fiscalité favorable. Sur le papier, tous les ingrédients sont réunis.
Mais ces dispositifs restent impuissants face à la transformation du marché immobilier. Désiré un enfant dépend de nombreux facteurs : le soutien aux parents, les infrastructures disponibles, la fiscalité, la confiance dans l’avenir. Mais quand l’accès à un logement suffisant devient une barrière infranchissable, tous les autres leviers peuvent perdre de leur efficacité.
Maxime Sbaihi place cette problématique dans un contexte plus large : changement climatique, croissance économique faible, incertitudes multiples. Dans cette « addition salée », le logement occupe une place particulière.
Les implications pour le secteur immobilier
Dans les années 1970, il fallait environ quinze ans pour doubler son niveau de vie. Aujourd’hui, cette durée atteint quatre-vingts ans. Cette évolution des revenus, plus lente que celle des prix immobiliers, touche particulièrement les jeunes générations.
Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, la perspective de vivre mieux que ses parents et de se loger dans des conditions similaires semble moins évidente. Ce constat dépasse les seules préoccupations environnementales ou économiques conjoncturelles et soulève des questions sur les trajectoires de vie possibles.
La comparaison entre générations éclaire également les transformations à l’œuvre. Les baby-boomers ont bénéficié d’un accès facilité à la propriété, avant l’augmentation significative des prix immobiliers dans les années 2000. Si 60% des Français sont propriétaires aujourd’hui, cette moyenne masque des disparités : les 18-30 ans accèdent moins facilement à la propriété que les plus de 60 ans.
Cette analyse place les acteurs de l’immobilier – de celles et ceux qui contribuent à la fabrique des villes – face à une réalité qui dépasse leur activité quotidienne. Le fonctionnement du marché du logement influence directement la démographie nationale et, par effet domino, l’équilibre du modèle social français.
Les données sont parlantes. Entre 2015 et 2024, la France a perdu plus d’un demi-million d’élèves dans les écoles primaires et maternelles. Six mille écoles ont fermé. Cette vague va toucher l’enseignement supérieur, puis le marché du travail. La population active devrait culminer en 2035 avant d’amorcer un déclin durable.
Dans un système de retraite par répartition, cette inversion de la pyramide des âges menace l’équilibre financier global. Les moins de vingt ans sont déjà moins nombreux que les plus de soixante ans. Sans rebond des naissances, les plus de soixante-dix ans dépasseront les moins de vingt ans dès 2038.

Une question collective
L’analyse de Maxime Sbaihi ne propose pas de solutions toutes faites. Elle établit un diagnostic qui devrait interpeller tous les acteurs économiques et politiques. La dénatalité n’est pas une fatalité démographique abstraite. Elle résulte de choix collectifs en matière d’aménagement du territoire, de politique du logement et d’urbanisme.
Quand un couple renonce à avoir l’enfant qu’il désire parce que son appartement est trop petit ou son loyer trop élevé, ce n’est pas qu’une décision privée. C’est le signe d’un dysfonctionnement systémique dont les conséquences se déploieront pendant des décennies.
La crise du logement contribue à une crise de la jeunesse, et donc une crise de la natalité. Cette chaîne de causalité mérite d’être pleinement intégrée dans nos réflexions sur l’avenir du marché immobilier français. Car le logement ne façonne pas seulement nos villes et nos quartiers. Il façonne aussi les générations futures – ou leur absence.
Les données présentées dans cet article s’appuient sur les travaux de Maxime Sbaihi présentés lors de la mission d’information parlementaire d’octobre 2025 et sur les publications de France Stratégie.