Penser l’espace urbain autrement
La Fabrique de la ville est aujourd’hui au cœur des enjeux politiques, climatiques et sociaux. Mais au-delà de l’innovation ou de la transition écologique, une question émerge : l’espace public répond-il vraiment aux besoins de toutes et tous ? Les usages révèlent encore des écarts importants selon le genre.
À travers les recherches récentes et les actions de terrain, un nouveau regard s’installe : plus attentif aux parcours, aux ressentis, aux pratiques différenciées de la ville selon qu’on est une femme ou un homme. Ce regard transforme profondément la manière de penser l’aménagement.
1. Un espace public encore inégalitaire
La répartition genrée des usages de l’espace est une réalité. Ainsi, dans une cour d’école, les garçons monopolisent le centre pour jouer au football, tandis que les filles sont reléguées en périphérie. Dans la rue, elles avancent rapidement, rarement en posture statique, là où les hommes s’installent. Dans les transports, elles prennent moins de place, souvent contraintes par le regard ou les comportements intrusifs.
Derrière ces scènes du quotidien se cachent des statistiques alarmantes. Près d’une femme sur trois ne se sent pas en sécurité dans son quartier. 100 % des utilisatrices de transports en commun disent avoir été victimes d’au moins une forme de harcèlement sexiste. Ce partage inégal de l’espace nuit non seulement à la liberté de mouvement, mais aussi à l’accès des femmes à la citoyenneté urbaine.
La mobilité des femmes est généralement plus fragmentée, liée à des trajets de proximité, de soin ou d’accompagnement. Leur expérience de l’espace est plus souvent marquée par la vigilance. Selon les enquêtes, plus de 80 % des femmes déclarent modifier leurs comportements dans l’espace public en fonction du sentiment d’insécurité. Ces écarts ne relèvent pas du ressenti individuel : ils sont structurés par des décennies d’urbanisme pensé sans toujours intégrer cette réalité.
2. Le spatio-féminisme : une grille de lecture critique
Dans son ouvrage Pour un spatio-féminisme, Nepthys Zwer explore la manière dont l’espace produit et reproduit des rapports de domination entre les genres. L’espace, rappelle-t-elle, n’est jamais neutre. Il est construit, cartographié et légitimé par des perspectives majoritairement masculines. À travers une approche critique, elle mobilise les épistémologies féministes et introduit un outil clé : la contre-cartographie.
La contre-cartographie permet de produire des représentations alternatives de l’espace, révélant les inégalités et redonnant du pouvoir d’agir aux femmes. En croisant ces données avec l’analyse sociale, le spatio-féminisme devient un levier de transformation : il invite à penser une ville conçue non comme un lieu de passage contraint, mais comme un espace à vivre pleinement, pour toutes et tous.

3. Des solutions concrètes : l’exemple du guide parisien
Depuis 2014, la Ville de Paris intègre la question du genre dans ses politiques d’aménagement. Le Guide référentiel Genre & Espace public, publié en 2016 puis enrichi en 2019, recense de nombreuses initiatives mises en œuvre en France et en Europe.
Parmi les dispositifs :
- Marches exploratoires avec des habitantes pour identifier les zones anxiogènes.
- Cours de récréation non genrées, favorisant un usage égalitaire de l’espace.
- Amélioration de l’éclairage public, essentielle pour le sentiment de sécurité.
- Toponymie féminine, en nommant davantage de rues et équipements en hommage à des figures féminines.
Ces pratiques traduisent une volonté d’agir à tous les niveaux : planification, signalétique, mobilier urbain, concertation. Elles s’inscrivent dans une logique de politiques publiques transversales, où le genre n’est plus un supplément mais une composante centrale de la fabrique urbaine.
Repenser l’espace, c’est élargir le champ des possibles
Repenser l’espace urbain à travers le prisme du genre, ce n’est pas céder à une mode, mais réparer une inégalité historique. L’espace produit des rapports sociaux autant qu’il en découle. Adopter une démarche spatio-féministe, c’est refuser la standardisation historique du quotidien urbain et créer les conditions d’un « droit à la ville » partagé.
À l’heure où la durabilité devient l’impératif de toute transformation urbaine, l’égalité femmes-hommes ne peut pas rester une variable d’ajustement. Elle est la condition même d’un développement soutenable, inclusif et humain.
Une ville plus inclusive ne se limite pas à cocher des cases. Il s’agit d’ouvrir des possibles pour que chacun et chacune s’y sente légitime, en sécurité, libre de circuler, de s’arrêter, de vivre.
La prise en compte du genre dans l’aménagement urbain n’est pas une question secondaire : c’est une clé pour bâtir une ville plus juste, plus accueillante, plus durable. Car un espace pensé pour les personnes les plus contraintes bénéficie à toute la société.

Guide référentiel Genre & Espace public
Ville de Paris